La légende du rossignol
Il existe en Berry une bien jolie légende qui ne se trouve plus guère aujourd’hui que dans la mémoire de quelques vieilles gens fidèles à l’antique tradition. Elle tend à expliquer pourquoi le rossignol chante la nuit. La voici dans toute son ingénuité : C’était aux premiers âges du monde, sans doute peu de temps après la Création ; les rares animaux vivant alors sur la terre n’avaient qu’un oeil. De ce nombre étaient la rossignol et l’orvet, cet inoffensif petit serpent de verre, à la queue si fragile, pas excessivement répandu, et que l’on rencontre dans les trous des vieux murs, parmi les pierres ou sous les broussailles des endroits humides. Le patois berrichon le nomme langou. Or, il arriva que le rossignol fut convié aux noces. Etait–ce aux noces du merle ou du papillon ? La légende est muette sur ce point. Toujours est–il que l’oiseau, voulant briller à cette fête, ne trouvait pas suffisante pour cela son admirable voix. Il alla voir l’orvet qui sommeillait dans la fraîcheur de l’ombre et lui tint à peu près ce discours :
– Mon cher ami, je suis de noce, et comme il y aura une brillante assemblée, je désirerais
faire bonne figure à la cérémonie.
– Mais ta voix charmera tout le monde, répartit l’orvet.
– Sans doute, cher ami, mais tous les convives seront–ils amateurs de chansons ?… Il y aura un bal après le festin, et c’est là surtout que je voudrais faire sensation. J’y rencontrerai le bouvreuil au jabot écarlate, le chardonneret au bec rosé encadré de vermillon, aux ailes pailletées d’or, la fauvette coiffée de noir… Que sais–je encore ?… Mon habit roux et terne ne se distinguera guère dans cette foule élégante… Il faut pourtant que je me signale de quelque façon… Tiens, par exemple, si tu voulais me prêter ton oeil –que, sans faute, je te rapporterais le lendemain– si tu voulais me rendre cet éminent service, eh bien, je crois qu’il serait parlé de ton ami la rossignol !…
L’orvet, un brave coeur, plein d’obligeance, acquiesça à la demande de son voisin.
Celui–ci, le seul être qui eût alors deux yeux, grâce à la complaisance du petit serpent, fut tellement admiré et adulé au festin et au bal qu’il ne put jamais se décider à restituer l’oeil emprunté. Le pauvre orvet, victime de sa bonté, aveugle depuis cette époque reculée, a voué une haine terrible au rossignol et sa pensée est de reprendre le bien précieux qui lui a été si malhonnêtement ravi. Mais l’oiseau à la voix mélodieuse se tient sur ses gardes ; il ne dort plus depuis des siècles, ne voulant pas se laisser dépouiller à son tour. Craignant d’être surpris durant son sommeil, pour ne pas s’endormir, il égrène pendant des nuits entières ses sérénades aux étoiles.
E. JOUIN