Les chiens de Mr St Phallier

Louis XI, à Plessis–les–Tours, sentit avec terreur venir sa fin. Il résolut un jour de se transporter à Chabris pour aller prier devant le sépulcre de Phalerius, connu dans le pays sous le nom de Monsieur Saint–Phalier, et qui était célèbre par ses miracles. Tandis que le roi voyageait avec une suite nombreuse, porté dans une riche litière, un orage épouvantable se déchaîna sur la campagne. L’escorte était en désarroi complet. Aveuglés par la pluie et les éclairs, les chevaux se cabraient et emportaient leurs cavaliers à travers les buissons, les halliers et les fondrières. C’était un véritable épisode de la fin du monde. Tout à coup un son de cloche se fait entendre et domine les éclats du tonnerre. O merveille ! A ce bruit, la nue se fend et fuit dans des directions opposées ; l’arc en ciel se dessine à l’horizon ; le calme renaît comme par enchantement et la nature en pleurs sourit aux rayons d’un soleil splendide… Alors Louis XI, renfermé dans sa litière, hasarda à la portière son pâle visage, puis, avisant un vieux pâtre qui se tenait ébahi sur le bord de la route :
– Brave homme, dit–il, quel est ce clocher qu’on voit là–bas, et d’où vient cet étourdissant carillon ?
– Messire, répondit le paysan, ce clocher est celui de Chabris, et vous entendez lez aboiement des bons chiens de Saint–Phalier lâchés sur le diable.
– Qu’appelles–tu les chiens de Saint–Phalier ?
– Nous nommons ainsi les cloches de la paroisse qui, mieux que limiers suivant la piste, savent chasser les démons et les tempêtes. aussi, chaque fois qu’un orage éclate, on les met en branle, et l’on voit ensuite les nuages se crever et se dissiper, comme vous avez pu en juger vous–même.
En arrivant à la place de l’église, l’escorte royale aperçut une foule nombreuse assemblée autour d’une femme qui, les cheveux épars, les vêtements en lambeaux, les mains et le visage ensanglantés, se tordait sur le sol dans d’horribles convulsions. De temps à autre, cette femme se dressait sur son séant, montrait le poing au clocher dont les cloches sonnaient toujours, et s’écriait, l’écume à la bouche :
– Oh ! Oh ! les gros mâtins de Saint–Phalier… Arrêtez–les ! Arrêtez–les !
Et la malheureuse retombait et battait de nouveau la terre, sans que personne songeât à la secourir. Le Roi ayant demandé l’explication de cette scène à plusieurs bourgeois qui se tenait à l’écart, par dégoùt, ou par terreur, l’un d’eux répondit :
– N’approchez pas, Messire, n’approchez pas…
C’est une misérable sorcière possédée du malin, venue cic on ne sait d’où, en apparence pour obtenir sa guérison des mérites de Saint–Phalier, en réalité pour nous faire tout la mal posssible. Entre autres abominables pratiques, elle se vante elle–même d’appeler et de conduire à son gré les puissances de l’air. Aussi, quand le grand tonnerre d’aujourd’hui éclata sur la paroisse, vous l’eussiez vue riant, dansant, gesticulant, sans s’inquiéter de la pluie et des éclairs, tandis que chacun se réfugiait dans l’église ou les maisons. Mais elle avait compté sans les chiens de Saint–Phalier, car aussitôt que nos bonnes cloches se mirent en branle pour conjurer la tempête, elle rougit, pâlit, chancela et tomba dans ses contorsions et grimaces habituelles qui l’agitent encore en ce moment. Dieu veuille, pour elle et pour nous, que cela lui serve de leçon.
J. VEILLAT.



30/04/2007
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