La légende du Pas- de- la - Mule
Sur les bords de la route de Cluis à Châteauroux, près de la locature de la Maison-Rouge, s’élève une grande croix de bois à laquelle se rattache une légende particulière. Un titre de 1753 la désigne sous le nom de «Croix du Pas–de–la–Mule», nom qui est également donné à un petit étang voisin. Au pied de vette croix, une large pierre plate de grès rouge offre à sa surface plusieurs cavités correspondant à l’empreinte légendaire du sabot de la mule qui conduisit autrefois un saint personnage portant le «Précieux Sang».
Or, cette croyance populaire transmise avec le vague traditionnel qui caractérise les récits de ce genre,paraît se rattacher au souvenir du grand saint Martin, si connu dans nos contrées par ses nombreux miracles. A Sainte–Gemme, dit–on, l’illustre thaumaturge s’étant présenté aux habitants pour les convertir à la religion catholique fut apostrophé en ces termes par l’un des païens :
« Si tu veux que nous ajoutions foi à ta parole, que ta mule s’enfonce dans le rocher.» Et la mule imprima fortement ses pieds dans le granit.Ttel est évidemment le premier thème sur lequel s’est formée notre légende, mais il a été modifié dans la suite des temps par de nouvelles données historiques. C’est au XIIIe siècle que se place l’évènement auquel il est fait allusion. Le cardinal Eudes de Châteauroux, légat du pape, revenant de Jérusalem, apportait dans un reliquaire quelques gouttes du sang miraculeux de Notre–Seigneur pour le déposer dans l’église de Neuvy, bâtie sur le modèle du Saint–Sépulcre. En chemin, la mule qui le portait, poursuivie par des malfaiteurs sacrilèges, s’arrêta instinctivement au pied de la croix située sur son passage. Tandis que le cardinal offrait sa prière au ciel, un ange intervenant miraculeusement déroba le saint évêque et sa monture aux regards des impies, et quand ceux–ci, continuant leur poursuite, arrivèrent au pied de la croix qu’Eudes de Châteauroux venait de quitter, ils virent les traces des pas de la mule imprimées sur le sol, mais, par suite de prodige, dans une direction opposée à la véritable. Ainsi trompés sur le sens de la route à suivre, ils ne purent atteindre leur but et empêcher la pieuse mission de s’accomplir. Les empreintes, que les gens du pays, croient voir encore sur la dalle où la mule avait marché, ont fait donner à la croix du Pas-de-la-Mule une origine miraculeuse. Aussi un certain nombre de pélerins s’y rendent en dévotion pour obtenir la guérison de la fièvre intermittente. Et quand, après la pluie, les cavités de la pierre se trouvent remplies d’eau teintée de rouge par les oxydes ferrugineux, quelques–uns n’y voient pas autre chose qu’une survivance du fait miraculeux dû au passge du «Précieux Sang» vénéré dans l’église de Neuvy–Saint–Sépulcre.
E. HUBERT