La sorcellerie en Berry

Pour inaugurer cette rubrique, un extrait de la Revue d'Etudes et d'Informations de la Gendarmerie Nationale:
"Gendarmerie et Sorcellerie au pays de George Sand" par le capitaine Herry (2e trimestre 1976)

"Les hallucinations du paysan qui, aussi bien que ses traditions, donnent souvent lieu à des croyances et à des légendes, prouvent que s'il est généralement privé du sens d'une clairvoyante observation, il a la faculté extraordinairement poétique de personnifier l'apparence des choses et d'en saisir le côté merveilleux."
George SAND, Contes et légendes du Berry

" Aux environs de La Châtre, les paysans croient qu'une sorte de génie malfaisant se montre dans les années bissextiles.
C'est le soir dans les marais et les étangs, surtout pendant les inondations, qu'il paraît et porte malheur a qui le voit. "
Maurice SAND

Dans nos campagnes du "coeur de France" se perpétuent encore des "croyances de tradition" qui peuvent paraître anachroniques (1).
Des pratiques de magie (ou plutôt de sorcellerie, car les vrais mages y sont rares) subsistent, comme au Moyen Age, dans certains villages isolés des grandes routes et du progrès technique.
Le paysan du Berry, comme celui de la Marche, du Morvan et du Bourbonnais, est volontiers crédule et superstitieux.
Ingénument, mais avec une bonne foi indéniable, il se croit capable de pactiser avec "les forces obscures" pour le meilleur comme pour le pire, les uns se considérant comme initiés aux maléfices, les autres doués pour "lever les sorts".

"Un homme du nom de "Georgeon" avait été jadis emporté à Montgivray par le diable.
C'était peut-être cette mauvaise âme qui faisait dès lors le métier de conduire
les autres à la perdition !!!"
George SAND, Contes et légendes du Berry
 

Dans les contes et légendes du Berry, George Sand décrit bien ces personnages.
"Georgeon était le diable de la partie du Berry que l'on appelle "Vallée Noire". Ce nom terrible qui présidait aux formules les plus efficaces et les plus secrètes ne devait être confié aux adeptes de la sorcellerie que dans le creux de l'oreille; Il n'était pas permis de le dire plus de trois fois. S'ils l'oubliaient, c'était tant pis pour eux, il fallait financer de nouveau pour obtenir de l'entendre encore. Quel était le rang et le titre de "Georgeon" dans la hiérarchie des esprits de malice ? C'est ce que je n'ai pu savoir. C'est lui qu'il fallait appeler aux carrois ou carrefours des chemins, ou sous certains vieux arbres, mal famés, pour faire apparaître l'esprit mystérieux. Avait-il pouvoir par lui-même sur certaines choses de la nature, ou n'était-il qu'un messager intermédiaire entre l'enfer et l'adepte ? Je le croyais: Un homme du nom de "Georgeon" avait été jadis emporté à Montgivray par le diable. C'était peut-être cette mauvaise âme qui faisait dès lors le métier de conduire les autres à la perdition !!!".

Mais les plus nombreux s'imaginent être la proie de sortilèges. Ils attribuent à une intention maligne, sciemment conduite, les maux qui les frappent dans ce qu'ils ont de plus cher: leurs biens matériels. Ce sont les cultures qui périclitent, le bétail qui crève, le laitage qui s'appauvrit, le pain qui ne lève pas, les enfants qui ne profitent pas. Pour eux, ces avatars ont une cause surnaturelle qui échappe au vulgaire, et surtout aux gens de science: techniciens de la terre, vétérinaires ou médecins...

Le "devin" local, ou "leveu de sort", consulté ayant décelé l'origine du maléfice et désigné son auteur possible, les soupçons chez la victime cèdent le pas à la haine puis à l'esprit de vengeance.
Il s'agit presque inévitablement d'un lointain parent ou d'un voisin jaloux, ou d'un précédent propriétaire des lieux qui a jeté (ou fait jeter) un mauvais sort ! La discrimination entre "maléficiant" et "maléficié" est délicate à faire.
Combien de voisins dans nos villages du Centre détestent "à mort" car ils se soupçonnent réciproquement de sorcellerie. On échange d'abord des injures, puis des coups: parfois sortent les fourches et les fusils.

Fort heureusement, les échos du drame parviennent aux oreilles du maire et des gendarmes. Si dans ce cas l'action de la Gendarmerie ne présente aucune difficulté en ce qui concerne la constatation des infractions à la loi pénale, il en est autrement lorsque le drame ne s'est pas extériorisé, et que l'on n'est pas encore passé à l'acte.

Ainsi, dans un village à la limite de la Creuse et de l'Indre, un boulanger, M. Y... s'aperçoit un jour que son pain ne lève pas, est mal cuit et a un goût de moisi. Il en cherche les raisons sans résultat, et comme le phénomène se reproduit plusieurs fois dans les mois qui suivent, il fait appel à des experts en farine, en hydrométrie et en hygrométrie qui examinent les lieux et les produits sans rien trouver d'anormal ou pouvant expliquer que le pain se fait mal.
Les faits se renouvelant encore, et ne pouvant en connaître la cause, M. Y... commence à penser qu'il est victime d'une force occulte. Il va consulter un "leveu de sorts" qui, contre finance, lui prescrit certains rites et prières qui pendant quelque temps semble être suivis d'effets, jusqu'au moment ou le phénomène réapparaît. M. Y... s'empresse alors d'aller chez le "leveu de sorts" qui, après l'avoir exploité un certain temps, lui dit qu'il ne peut plus rien faire, ayant contre lui une "force occulte" supérieure à la sienne. Il déclare connaître la personne qui en est l'émanation, et il la lui fait habilement désigner. Il s'agit d'une vieille personne, Madame X..., qui était autrefois propriétaire de la boulangerie.

La femme et la fille du boulanger (étudiante en sciences) sont elles aussi persuadées d'être victimes d'un ensorcellement. La famille vit dans l'anxiété et souffre moralement de cet état de choses. On commence à ne plus adresser la parole à l'ancienne propriétaire, on lui refuse l'entrée de la boulangerie, puis on l'insulte. Ensuite, on dépose devant sa porte du pain moisi, une chouette morte et le dessin d'une tête de mort. Enfin, on porte plainte à la Gendarmerie contre son action occulte.

Le chef de brigade déjà au courant des faits mène une enquête et essaye d'apaiser les plaignants, sans résultat. Il est de nouveau sollicité plusieurs fois. Il ne peut pas intervenir. L'ordre public n'est pas troublé et il n'y a aucune infraction pénale.
Il est cependant évident que Madame X... est en danger de mort. Faut-il attendre que le boulanger ou les membres de sa famille passent le seuil de l'état dangereux pour intervenir ?
Le commandant de compagnie persuadé des risques encourus par Madame X... lui demande d'aller vivre quelque temps chez son fils en Auvergne. Il demande l'avis du médecin de la famille, qui ne comprend pas l'attitude de ses patients, qui sont pour lui psychiatriquement et habituellement normaux. Le maire est du même avis.
Le commandant de compagnie tente de raisonner le boulanger et les siens et apprend qu'ils ont mis leur boulangerie en vente, et sont décidés à quitter le pays pour fuir ainsi le mauvais sort.

Quelque temps après, le commandant de compagnie reçoit la visite de journalistes de la Télévision venus faire une émission sur la sorcellerie. Il leur indique ce cas. L'émission a pour effet de délivrer les Y... de leur cauchemar. Il écrivent d'ailleurs au commandant de compagnie pour le remercier d'avoir "fait cette émission".

Que s'est-il passé ? Comment expliquer cette "guérison", et pour combien de temps ? Ces gens ont-ils été victimes d'une psychose hallucinatoire ? Comment le prouver et établir la démence ? Quels sont les moyens d'action de la Gendarmerie, lorsque l'ordre public n'est pas troublé, et qu'il n'y a pas infraction à la loi pénale ? Les autorités municipale et administrative peuvent-elles prendre une mesure de placement d'office ?
Dans ce cas bien précis, il est difficile de faire application de la loi du 30 juin 1838, articles 18 et 19.
II y a essentiellement un problème humain douloureux qui risque d'avoir des conséquences graves, sans qu'on puisse toutefois en être assuré. Seules des solutions humaines adaptées à chaque cas doivent être appliquées.

Y a-t-il des moyens d'action contre les "leveu de sorts" ? Oui, lorsque l'escroquerie peut être établie et que manifestement ces personnes sont de mauvaise foi et exploitent la crédulité des gens.
Non, dans les cas contraires. Le docteur Edmond Locard, directeur du Laboratoire de police de Lyon, écrivait en 1950:
"J'admets très volontiers qu'il y a un grand nombre de phénomènes psychologiques actuellement mal expliqués par la science dite officielle. Je crois en particulier a la télépathie et, dans une certaine mesure, à la transmission de pensée. Je crois en outre que des guérisons nombreuses sont obtenues par les moyens autres que la thérapeutique universitaire, et qu'il ne suffit pas de dire névrose, hystérie ou pithiatisme pour rendre compte des faits observés. Je suis en outre tout à fait certain qu'un grand nombre de spirites et de hiétapsychistes sont d'une entière bonne foi, et je ne me considérerai pas comme déshonoré pour avoir pensé comme Crookes, Richet, Lombroso ou Conan Doyle."

Nombreux sont les "leveu de sorts", qui ne sont pas connus ou autour desquels existe une certaine solidarité née de la crainte ou de la reconnaissance.
D'autres faits se rapportant à la sorcellerie peuvent être cités. Un tel déclaré aux gendarmes qu'il est victime de sorts lances par deux hommes, qu'il a des étouffements, sent mauvais surtout au moment de la lune ronde, que ses volailles sont sorties du poulailler sans que le grillage ou la porte n'ait été touché, etc.
Un autre reçoit d'Aubervilliers une petite cassette en bambou à l'intérieur de laquelle se trouve un petit sac en Nylon contenant un coeur de porc traversé de treize pointes.
Un autre voit son cheptel disparaître petit a petit de maladie. Sa famille et lui-même sont atteints d'anémie, sans que les médecins en trouvent la cause !

L'enquête de la Gendarmerie révèle que le fermier était victime d'une psychose passionnelle suite à la perte de son cheptel, et craignant de n'être pas pris au sérieux lorsqu'il parlait de sorts, obsédé par cette idée et d'une façon inconsciente, il empoisonnait chaque matin l'eau de son puits, mettant ainsi en danger sa vie et celle des siens pour bien prouver qu'il était ensorcellé
Délire de persécution ou de sorcellerie, délire spirite, phobie, délire d'influence, sont des psychoses hallucinatoires et sont dangereuses. Le malade quelquefois n'a que faire des paroles apaisantes. Renvoyé avec de bonnes paroles et un semblant d'enquête, il est persuadé que la Gendarmerie est complice. II va donc se défendre seul. De persécuté, il va devenir persécuteur et agresseur. Dans ce cas, le remède est le placement dans un hôpital psychiatrique.

Mais combien souffrent en silence et finissent par se suicider surtout dans nos campagnes.

Et comment traiter les cas marginaux ? Ceux pour lesquels aucune explication ne peut être donnée. Comment faire la distinction entre ceux qui relèvent de la psychiatrie et ceux qui proviennent du mysticisme, des croyances ou du spiritisme ?

L'église ne reconnaît-elle pas l'existence du démon ? Jésus-Christ lui-même n'a-t-il pas été tenté par Satan qui l'a transporté sur le toit du temple ? II est souvent fait allusion à l'esprit du mal dans la religion. Le saint curé d'Ars dans ses "mémoires", relate les nombreuses nuits au cours desquelles le démon lui a porté des coups, a tenté de mettre le feu à son lit et lui a fait subir d'autres méfaits encore...

Beaucoup de personnes écrivent ou viennent chaque jour de toutes les régions de France à La B..., petite commune de l'arrondissement, pour rencontrer le curé. Ce dernier les confesse, les fait assister à la messe et communier puis les écoute et les exorcise. II est frappé, m'a-t-il dit, par la douleur et les souffrances morales de ces gens de tous les milieux sociaux, en plein désarroi. Pour lui aussi la difficulté majeure est de faire la distinction entre les malades au sens psychiatrique du terme et les autres. Certains cas rapportés par lui sont troublants.

Une constatation s'impose donc, c'est que "L'idée de sorcellerie", est très répandue en France et dans toutes les couches sociales. Un haut fonctionnaire me faisait remarquer un jour que la grande Dussane était morte l'année ayant suivi sa venue à Nohant pour les fêtes romantiques en 1969, et qu'il en avait été de même pour Louise de Villemorin en 1970. L'une et l'autre n'avaient pas été tendres pour George Sand, et ce monsieur d'ajouter: "George Sand n'a pas permis qu'une autre femme règne sur Nohant, ne serait-ce qu'une soirée, et elle s'est vengée"....
Les progrès de la science ne semblent pas faire reculer le spiritisme et l'occultisme, bien au contraire. On assiste à un retour à des pratiques moyenâgeuses, à la constitution de sectes et à un goût marque pour tout ce qui concerne le subjectif et l'inexplicable.
Un excès de rationalisme et de matérialisme justifie peut-être ce besoin de merveilleux et de croyances mystérieuses.

L'action de la Gendarmerie est prévue par les textes du Code pénal et la loi de 1838 (articles 18 et l 9) lorsque l'ordre public est troublé ou qu'il y a infraction, ou bien encore lorsque l'individu est reconnu en état de démence dangereux pour lui et ses voisins.

II n'en est pas de même pour les autres cas. Faut-il pour autant s'en désintéresser ? Seuls, la connaissance du milieu et des gens, la confiance de la population, un sens psychologique et humain développe, une très grande disponibilité, permettent d'agir avec discrétion et efficacité.

Le problème est humain et mérite qu'on lui porte attention, car il peut quelquefois être à l'origine d'un crime ou d'un suicide. Quant aux "faux sorciers" et aux escrocs qui exploitent les naïfs et les superstitieux, ils doivent être détectés et poursuivis pour escroquerie, chaque fois que les éléments constitutifs de l'infraction ou des preuves auront été réunis contre eux.



 

La sorcellerie.
Je crois qu'elle fut longtemps combattue parce qu'elle est une réminiscence de nos plus ancienne croyances, de nos plus anciennes religions. Il est d'ailleurs intéressant de voir qu'elle est restée longtemps présente dans notre province, le Berry, si peu touché par l'emprise de l'Eglise. L'alchimie, branche cadette, la fit glisser vers la doctrine (les références à la kabbale, aux textes sacrés) et vers la science plus... "matérialiste".
C'est là un sujet qui m'intéresse, parce que de ma culture, de mes racines (la Bresne).

"En Berry, le paysage lui-même suscite parfois la croyance dans les maléfices..."


17/01/2008
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