La légende des 99 chapeaux

Au temps de la ligue, M. de la Châtre était gouverneur de Vierzon. Né à trois lieux lieues de cette ville, en son château de Maisonfort, il était, à seize ans, page du connétable Anne de Montmorency, puis devenait gouverneur du Berry et de l’Orléanais. Enfin, révoqué par Henri III pour avoir embrassé le parti de la Ligue, il faisait sa soumission à Henri IV et recevait en récompense le bâton de Maréchal de France, plus une indemnité d’un million. Quand il mourut en son château, après avoir exercé en Berry une autorité illimitée, son corps fut transporté à l’église de Genouilly, suivi par plus de deux cents genttilshommes des environs ; puis le cortège se rendit à Bourges où le Maréchal fut inhumé dans l’église souterraine de la cathédrale avec une pompe extraordinaire.
Ainsi que le constate M. le comte de Toulgouët, on comprend qu’un personnage de cette importance dut laisser une impression profonde et vivace dans l’esprit des populations. aussi les gens de la campagne conservèrent–ils longtemps le souvenir d’une foule de légendes dont il fut le héros, et que l’on raconta longtemps aux veillées d’hiver.
Et M. le comte de Toulgouët dit tenir une de ces légendes d’un M. Larchevêque de Tabalou, qui la tenait lui–même d’un vieux berger dont l’enfance avait été bercée de ces récits.
« C’était au plus fort de la guerre civile, alors que les bandes armées parcouraient les campagnes, cherchant à surprendre les châteaux. Celui de M. de La Châtre était naturellement le point de mire des protestants, mais aussi un des mieux défendus.
Toutefois, il arriva qu’un jour le Maréchal, malade et alité, ayant envoyé au loin ses hommes d’armes, était resté presque seul en son château.
« Vers le soir, un de ses serviteurs vint l’avertir qu’un parti ennemi, composé d’une centaine de fantassins, qu’on appelait alors des chapeaux, parce qu’ils étaient coiffés d’une sorte de chapeau de fer, s’étaient postés dans un petit bois voisin, et qu’ils devaient, la nuit venue, s’emparer du château et en massacrer les habitants.
« Le Maréchal sortit du lit, s’arma de pied en cap, tout malade qu’il fût, et, pour essayer ses forces, se coucha, revêtu de sa lourde armure, sur un de ces grands coffres qu’on appelle une mée dans nos campagnes. Puis, sans se servir de ses mains ni de ses bras, il se releva à la force des reins. Ayant constaté ainsi qu’il n’avait rien perdu de sa vigueur, il fit seller et équiper son cheval de bataille et, suivi de son seul écuyer, il partit au galop, tomba à fond de train sur le petit bois, surprit les soldats dans leur campement, et en fit un si grand carnage, frappant d’estoc et de taille avec sa grande épée, et les écrasant sous les pieds de son puissant coursier, bardé de fer, que de cent, il n’en resta qu’un.
A celui–là, il fit grâce de la vie et lui dit :
« Va–t’en conter aux gens de Vierzon qu’il y a quatre-vingt-dix-neuf chapeaux à ramasser ici !…»
E. LAURENCON.



30/04/2007
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